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Les centres de rétention sont loin de respecter la dignité humaine

Publie le samedi 15 octobre 2005 par Open-Publishing

de Laetitia Van Eeckhout

Vous avez été reçu par le ministre de l’intérieur, mercredi 12 octobre, soit trois semaines après la fin de votre visite en France. Avez-vous pu lui faire part de vos observations ?

Nicolas Sarkozy a finalement trouvé le temps de nous recevoir, comme l’ont fait tous ses homologues des pays européens que j’ai visités. La discussion a été très franche. J’ai pu lui faire part de mes inquiétudes. Il m’a plusieurs fois rappelé ses responsabilités de ministre de l’intérieur. Mais il m’a écouté et exprimé son point de vue. Nous avons parlé des prisons, des conditions de garde à vue, de délinquance des mineurs, de récidive aussi.

La France est le 32e pays que vous visitez. Qu’avez-vous retiré de vos quinze jours d’observation dans l’Hexagone ?

La France est un pays ayant une longue tradition en matière de droits de l’homme. Mais, aujourd’hui, elle est confrontée, comme d’autres pays, à certaines situations alarmantes qu’elle doit regarder en face. En matière de droit d’asile, par exemple, la dernière réforme prévoit que l’étranger en centre de rétention doit déposer sa demande sous cinq jours, dans un français parfait, en rémunérant lui-même l’interprète dont il a besoin. Mais qui, dans une telle situation, peut et a les moyens de trouver en cinq jours un interprète ? De vrais demandeurs d’asile peuvent ainsi se voir renvoyer dans leur pays d’origine, avec tous les dangers que cela suppose, pour un simple défaut de forme ! L’Office de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) devrait garantir l’examen de tous les dossiers, même quand le demandeur n’a pas trouvé d’interprète ou n’a pas les moyens d’en prendre un. A charge pour l’organisme d’assurer la traduction.

Les associations de défense des étrangers s’alarment de plus en plus des méthodes employées pour éloigner les personnes en situation irrégulière. Partagez-vous leur inquiétude ?

Quand on parle d’êtres humains, il faut faire très attention. On ne peut pratiquer une politique du chiffre, clamer qu’il faut expulser 23 000 personnes par an. Il ne s’agit pas de tenir un discours naïf et d’accueillir tout le monde. Mais il faut regarder, cas par cas, la situation des personnes. Et la respecter quand elle le mérite. Quel est, sinon, le message que l’on donne ? Dans les centres de rétention, on voit des drames humains terribles. Les agents de police, eux-mêmes, sont angoissés, car il ne faut pas croire que la situation soit facile pour eux. Cette réalité n’est pas dans la tradition française.

Il faut être vigilants dans les entrées, être fermes à l’égard de situations inacceptables. Mais aussi être très durs contre tous ces entrepreneurs qui exploitent ces personnes comme des esclaves. On expulse l’esclave et on laisse tranquille l’entrepreneur : il y a là une grande hypocrisie sociale.

Il faut arrêter de faire de l’étranger le bouc émissaire. Les gens méritent le respect. Les conditions de vie dans les centres de rétention sont loin de respecter la dignité humaine.

Dans les sous-sols du palais de justice de Paris, les gens s’entassent sur deux niveaux, sans aération. Au second niveau, on marche sur une grille, au-dessus du premier niveau. C’est affreux ! Il y a urgence à fermer ce type d’endroit.

L’état des prisons est-il aussi inquiétant ?

Les maisons d’arrêt sont vieilles et surpeuplées. Or la surpopulation carcérale rend impossible toute politique pénitentiaire prenant en compte le profil de chaque détenu. Dans les prisons, se côtoient des prévenus qui sortiront peut-être innocents et des grands criminels.

Il y a aussi un grand nombre de personnes qui ont besoin avant tout d’une aide psychiatrique. Les hôpitaux psychiatriques n’en veulent pas, ne sont pas équipés pour les accueillir. Du coup, ces personnes se retrouvent en prison, et cela crée une grande tension pour le personnel pénitentiaire et les autres détenus. Si leur place n’est pas à l’hôpital, elle ne l’est pas davantage dans les prisons. Il faut développer des structures adaptées.

C’est là un problème réel, soulevé par les directeurs, les personnels pénitentiaires, les médecins, les assistants sociaux. Il touche à la liberté d’êtres humains souvent démunis. Il faut y répondre. Investir dans ce domaine, c’est investir dans la sécurité.

Avez-vous visité les nouveaux centres éducatifs fermés ?

Nous en avons visité un près de Rouen. Et j’avoue avoir été très heureusement surpris. L’équipe d’éducateurs, de très grande qualité, fait avec ces jeunes, très agressifs parfois, un travail extraordinaire, leur donnant la possibilité de se réintégrer dans la société.

En France, comme dans beaucoup d’autres pays, la sécurité est un sujet de préoccupation forte, et c’est logique. Mais la répression, seule, ne sera jamais la solution.

Il faut vraiment reconquérir cette population. Quoi que vous fassiez, une fois dans le système pénitentiaire ordinaire, ces gens auront très peu de chance de s’en sortir.

Le programme du ministère de la justice mérite d’être encouragé. Et davantage soutenu qu’il ne l’est aujourd’hui par les collectivités. Il faut accentuer l’effort sur ce type de centre mi-ouvert, mi-fermé. Et, à côté, développer des établissements fermés spécifiques où soient entrepris avec les jeunes un travail pénitentiaire mais aussi un travail éducatif et psychologique.

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