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Nous ne pouvons pas obéir

Publie le dimanche 3 juillet 2005 par Open-Publishing

de NICHI VENDOLA traduit de l’italien par karl&rosa

Nous ne pouvons pas obéir, quand l’obéissance qui nous est demandée signifie acquiescement à l’égard de la brutalité et de l’inhumanité de petits codes écrits avec l’encre de la culture de l’urgence et du mauvais réalisme de la politique. Nous ne pouvons pas obéir, quand on nous demande de construire à côté de nos villes, derrière le coin de nos distractions, des bunker blêmes pour une humanité stockée, des asiles sans règles pour des personnes qui ressemblent à du verre perdu, qui ne sont même pas des personnes mais simplement, méchamment, des "clandestins".

Les centres de rétention sont des trous noirs qui percent notre culture juridique et civile et qui aspirent des visages et des fragments de vies dans la spirale d’une peine jamais prononcée. Ils ne servent pas à dénouer les nœuds épineux de la clandestinité, ils servent à exorciser le fantasme de la clandestinité : en inhibant chez nous tous la possibilité de nous interroger sur le comment et le pourquoi de la "production sociale" du phénomène articulé que nous appelons clandestinité.

Ces lieux entourés de barbelés et, en tous cas, fermés hermétiquement ne sont pas des aires de stationnement ou de parking, surtout ils ne sont pas "d’accueil" comme on le dit parfois avec ces glissements sémantiques qui semblent une véritable mafia des mots. Ils sont la grossière incarcération "temporaire" par laquelle on séquestre des corps du crime : c’est-à-dire des hommes et des femmes qui n’ont enfreint aucune norme pénale mais qui, dans leur condition de "clandestins" sont stigmatisés, recherchés, privés de leur liberté personnelle.

Bien sûr, ils ne sont pas très blancs et ils sont plutôt pauvres. Et pourtant, ils devraient eux aussi profiter de la réverbération universelle de ces droits que nous proclamons avec tant de bruit, même avec le bruit des bombardiers. La liberté d’un indigent ou d’un mendiant ou d’un fou ou d’un clandestin ne vaut pas moins de la liberté des amis de Pisanu (ministre de l’Intérieur du gouvernement Berlusconi, NdT). Mais en ce cas les droits se distordent, les adeptes des garanties s’effacent et les petits enfants, pourtant si nombreux, de Cesare Beccaria, se taisent : ne sentent-ils pas combien est insupportable cette lésion sur la peau délicate de nos principes ? Et que pensent-ils d’une fluidité juridique qui situe une portion de monde dans une sorte de limbe, dans un vide pneumatique de subjectivité et de citoyenneté et qui se charge de sa disparition "temporaire" comme d’un fait évident et banal, à l’intérieur d’une procédure grise d’une tranquille bureaucratie du "surveiller et punir" ?

Nous ne pouvons pas obéir si on nous propose d’accepter l’idée de la "détention administrative" comme remède ordinaire à l’excédent extra-communautaire ou à l’hystérie intra-communautaire. Et si on nous dit, sur un ton vaguement biblique, qu’ici on met en discussion l’Europe de Schengen, nous répondons que ce n’est pas la Table de la Loi, que Pisanu n’est pas Moïse et qu’ici on remet tout en discussion : parce que la politique de l’immigration n’est pas un chapitre de l’ordre public et pas non plus de la seule dépense sociale, mais c’est le miroir sur la surface duquel nous pouvons nous voir nous-mêmes. C’est justement l’Europe-forteresse que nous voudrions changer, casser, convertir : pas à cause d’un vague sentiment humanitaire, pas seulement pour sauver un peuple de naufragés qui grimpent sur notre côte dorée mais justement pour sauver l’Europe. Le vieux continent a cru s’unifier avec des politiques sécuritaires : mais sans une âme forte et reconnaissable, il a buté sur le vote populaire et a risqué l’infarctus. Nous voulons aider l’Europe à retrouver sa mission et la dense pluralité de ses racines. C’est pourquoi nous voulons fermer les centres de rétention.

Nous ne pouvons pas obéir : les personnes sont inviolables dans leur dignité, leur liberté et leur intégrité psycho-physiques. Nous les avons violées de tant de façons : en les volant chez eux, en les exploitant chez nous et entre leur maison et la nôtre s’allonge une mer qui est aussi un grand cimetière à ciel ouvert d’étrangers en exode de leur terre. Nous avons sali la Méditerranée et ramené l’Europe aux dimensions d’une caserne.

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