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Paris-Dakar, un vol effrayant

Publie le mercredi 22 décembre 2004 par Open-Publishing
6 commentaires


Un immigré embarqué en menottes avec deux policiers qui l’escortent. L’homme
hurle qu’il ne veut pas partir. Des passagers se rangent de son côté et sont
arrêtés.


de FRANCO LA CECLA

A sept heures et demi du matin, le 15 décembre, nous nous embarquons sur un avion,
charter, Air Horizon, direction Dakar. A peine entrés, nous entendons des hurlements
venir du fond. On nous a assigné l’avant-dernier rang et c’est pourquoi quand
nous nous approchons de nos places nous trouvons assis au fond deux policiers
et au milieu, ficelé comme un saucisson, un jeune africain qui hurle "je ne suis
pas un esclave", "laissez-moi", "maman", "vous me faites mal". Il a les yeux
exorbités et le visage cramoisi. Il hurle, désespéré. Préoccupés, nous nous asseyons
et les policiers nous disent qu’il n’y a aucun problème, qu’il va arrêter à peine
l’avion décolle. Les hôtesses nous sourient. Une demi heure, trois quarts d’heure
passent, l’avion ne part pas et il continue à hurler et à pleurer. De temps à autre
les policiers le font disparaître, en le pliant (il est menotté par derrière)
et en lui mettant un gant sur la bouche et ils lui disent que s’il n’arrête pas
ils sont obligés de lui faire cela.

Les passagers sont visiblement bouleversés. L’avion est plein, il y a des enfants, des familles. Nous sommes plusieurs à nous lever, finalement un journaliste présent et moi-même allons voir le commandant et lui disons que nous n’arrivons pas à penser pouvoir voler dans de telles conditions. L’amie qui est à côté de moi se sent mal, un sénégalais qui est malade du cœur se joint à nous et dit au commandant qu’il a peur et qu’il ne peut pas voler ainsi. Nous lui demandons de nous faire descendre. L’avion est encore attaché au boyau du terminal. Il dit qu’il va s’occuper de la chose. Quelques minutes après il annonce qu’en vertu de ses pouvoirs il a décidé de faire descendre le clandestin et la police. Ensuite il vient prés de nous, qui nous nous sommes assis, et nous demande de lui donner nos passeports parce qu’il lui faut nos noms pour soutenir sa décision.

Quand il nous appelle plus tard pour nous redonner nos passeports il nous dit de venir les chercher à l’entrée de l’avion. Dès que nous y sommes, nous sommes menottés par les policiers, qui nous traînent dehors en nous secouant violemment. Nous demandons des explications, il nous secouent davantage, nous mettent dans un fourgon et nous emmènent au poste de police à l’intérieur de l’aéroport. Là ils nous déclarent que nous sommes "gardés à vue". Ils nous demandent notre identité et puis nous mettent en cellule, séparés. Nous en demandons la raison et ils disent que nous aurons de sérieux problèmes et que nous nous sommes mis dans de sales draps et que c’est très dangereux pour nous.

Nous sommes fouillés, il nous font déshabiller complètement et rhabiller ensuite et puis ils nous enlèvent tout, les lunettes, les lacets, la montre, le portefeuille, nos affaires personnelles. Ils disent que nous avons droit à être visités par un médecin et qu’ils vont passer un coup de fil pour nous. Puis ils nous enferment dans la cellule. Nous y entrons à 9 heures du matin et on ne nous en fera enfin sortir qu’à 19 heures. Personne nous communique quand nous allons sortir. Ils nous appellent un par un pour être interrogés.

Entre-temps d’autres policiers racontent que le clandestin, expulsé, s’est lancé contre un pylône pointu pour se suicider et qu’il est à l’hôpital. Des nouvelles arrivent, selon lesquelles l’avion n’est pas parti, que les passagers ne veulent pas partir sans nous. L’avion partira finalement à 16 heures, entre-temps quelques passagers sont descendus. Nous saurons qu’ils ont tous déclaré être disponibles à témoigner en notre faveur. Quand on nous interroge, les chefs d’accusation sont incitation à la révolte et "entrave", c’est-à-dire, d’avoir entravé un vol, corrigé ensuite en « bloc d’une procédure d’expulsion ». Je suis accusé d’avoir dit aux agents que ce qu’ils faisaient était une torture - chose que je ne leur ai jamais dite - et que je ne comprenais pas pourquoi ils utilisaient un charter et non un vol de ligne normal ou un vol militaire.

Le policier chef qui m’interroge me donne raison sur la dernière chose. Je lui explique ma version et lui rappelle que parmi les droits des passagers il y a celui d’abandonner un avion qui n’est pas encore parti s’ils ont peur ou s’ils ne se sentent pas bien. Je retourne dans ma cellule. Il me rappellent ensuite pour prendre mes empreintes et me faire les photos de signalement. Maintenant je suis fiché comme un dangereux pirate de l’air. En cellule les heures passent et enfin on nous libère. L’endroit est sale, bondé, de toute évidence les policiers appartiennent au Front national et manifestent une attitude raciste envers les personnes de couleur qui arrivent, traitant tout le monde avec un extrême mépris.

Quand ils nous relaxent, ils nous disent que nous ne serons probablement poursuivis et que d’ici quelques mois, quand s’ouvrira le procès, ou plutôt l’instruction, nous pourrons au contraire dénoncer le commandant de l’avion. Ils nous font signer une déclaration de relaxe et ne nous donnent aucun papier démontrant notre détention. Nous - les trois de l’avion -sortons bouleversés, nous discutons et nous mettons d’accord pour appeler la télévision nationale, France 2 et France 3 et nous adresser à un avocat.

Le lendemain à 9 heures 30 nous donnons l’interview qui sera transmise plusieurs fois dans la journée et qui comprend une déclaration du chef de la police qui dit que nous encourons 5 ans de prison et sept mille euros d’amende et qu’on nous accuse d’incitation à la révolte, d’empêchement d’un acte d’expulsion et d’insultes à la police. L’accusation de violence à leur endroit est immédiatement retirée. Nous découvrons que la même chose était arrivée le jour précédent et que l’avion n’était pas parti mais que c’est la première fois que trois passagers passent dix heures en cellule pour avoir manifesté leur malaise vis-à-vis de ce qu’ils étaient contraints à voir.

Traduit de l’italien par Karl & Rosa de Bellaciao

http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/18-Dicembre-2004/

Messages

  • QUE PEUT-ON ATTENDRE D’UN GOUVERNEMENT FASCISANT - ET DE SES SBIRES ACQUIS ET REQUIS A SA CAUSE ?

  • Si une action de soutien à ces personnes se mettait en place merci de nous en faire part.

    Leïla de Paris.

  • Excellent article et très forte implication, courageuse, des auteurs.
    Bien évidement le réseau sera là pour les soutenirs.

    Je voyage très régulièrement en charter "via Africa", comme le disait les Deschiens, et je n’ai encore jamais rencontré de tels problèmes. Si toutefois cela devais arriver, comment doit-on réagir, que dire, que faire, quel est vraiment le Droit à bord des avions...

    Merci d’essayer de me répondre et bon courage à tous !

    A+, Benj

  • c’est pas la première fois que des affaires semblables arrivent, mais c’est toujours l’autorité qui a raison !!!

  • Je connais cette compagnie Charter qui s’appelait EURALAIR et qui maintenant s’appele air orizon qui est trés réguliérement utilisée pour renvoyer ces pauvres gens dans leur pays .IL faut savoir que le commandant de bort a tout à fait le droit de refuser de transporter une personne qui pourait devenir dangereuse pandant le vol pour elle ainsi que pour les passagers.
    Le commandant qui est seul maître à bord de son avion ,il a eu raison de faire descendre ces passagers policiers + le pauvre clandestin ,mais le fait de vous prendre vos papiers et de vous remettre aux policiers de l’aéroport n’est pas digne d’un cammandant de bord .Il savait qu en faisant cela que vous iriez devant des problémes juridiques (proces + amendes )

    • Je suis un commandant de bord à la retraite : Je vous confirme qu’il était dans les prérogatives du Commandant de débarquer le passager expulsé et son escorte ; le comportement de cette escorte par sa violence suscitait des émotions pouvant perturber la poursuite du vol jusqu’à compromettre sa sécurité ; il était donc du devoir du Commandant de débarquer ce passager.
      Par contre le fait de vous avoir pris vos documents d’identité et de voyage est un abus de pouvoir d’autant plus caractèrisé que tant que l’avion n’est pas complètement isolé, c.à.d.portes fermées et dégagé des passerelles d’accès, le commandant n’est pas encore le seul maître à bord et de ce fait tout ce qui relève du traitement des passagers appartient au personnel d’escale et/ou aux autorités locales à la demande éventuelle du commandant de bord.Dans cette situation il ne lui appartient pas de prendre personnellement des mesures coercitives ni d’y participer.